Le secteur du pétrole et du gaz a-t-il un rôle à jouer dans la conversion vers une nouvelle économie durable à l’échelle mondiale ?

1/ En quoi consiste le secteur du pétrole et du gaz ? Voici quelques bases.

Une supériorité économique sur le monde écrasante

Le secteur de l’or noir représente une force gigantesque dans le commerce mondial, la recherche et le développement dans l’industrie, et les infrastructures intergouvernementales. Il est nettement aligné sur ses produits principaux : le pétrole brut et le gaz naturel. L’économie mondiale, même si elle ne dépend pas uniquement de ce secteur, est très sensible à sa disponibilité, à son prix et à son impact sur notre santé (tant économique que physique). Avec plus de 3 000 milliards de dollars de recettes annuelles, c’est certainement le plus grand secteur d’activité sur la planète (1).

Bien que cette activité soit vaste et complexe, elle peut être décomposée en secteurs qui, indépendamment, ressemblent beaucoup à d’autres industries. L’industrie pétrolière peut être divisée en trois secteurs principaux : L’activité en amont, médiane et en aval.

Un secteur divisé en trois segments

Activité Amont

L’activité amont est connue sous le nom de « exploration et production » (E&P) et se caractérise par un capital d’investissement important. Il s’agit de rechercher et forer de nouveaux puits. Cela nécessite des scientifiques, des technologies de pointe, des équipements couteux, des accords ou contrats d’utilisation des terres, et beaucoup de risques.

Activité Médiane

Une fois que les matières premières sont découvertes et extraites, elles doivent être transportées. Bien que ce segment soit considéré comme moins risqué que le précédent (amont), il existe toujours un certain nombre d’obstacles (principalement réglementaires) faisant du transport de pétrole et de gaz une activité importante. Que ce soit par pipeline, par camion ou par bateau, les matières premières sont transportées plus près de leur destination.

Activité en aval

Les matières premières aboutissent dans les raffineries. Ce secteur industriel exploite des procédés mécaniques et chimiques afin de transformer le pétrole brut en produits utiles au consommateur. Qu’il s’agisse de carburant, de plastique, de matériaux pour la construction de routes, les raffineries font partie intégrante de la commercialisation de l’or noir auprès du public.

Qu’est-ce qu’un baril de pétrole ?

Le baril : avec ses 42 Gallons américains (158,98 litres), le baril (bbl) est l’unité de mesure de base dans toute l’industrie. Cependant, dans les publications de rapports ou aux informations, vous verrez plus probablement une version plus grande de cette unité sous la forme de Mbbl (milliers de barils) ou MMbbl (millions de barils).

Consommation mondiale :

Source : Countries with the highest oil consumption worldwide in 2019

Seules quelques sociétés accaparent tout le pouvoir

Source : Total

Les principaux acteurs du secteur pétrolier sont BP, Total, Shell, ExxonMobil…

Lorsque vous visitez le site web de l’un de ces géants du pétrole et du gaz, vous pouvez lire beaucoup de contenu concernant « l’avenir » ou un environnement plus propre, ou encore « l’aide » pour atteindre le point de zéro émission. L’allusion au changement climatique est directe, mais ils parlent vaguement d’énergie plutôt que de leur produit phare : le pétrole. Veulent-ils continuer à en tirer profit ? Bien sûr. S’attendent-ils à des changements importants dans leur secteur ? Ils semblent prévoir quelque chose, mais à quoi ressemble leur « stratégie de sortie » ? Ont-ils vraiment une stratégie de sortie ? Que doivent-ils surmonter pour rester rentables ? D’autre part, le marché va-t-il contrôler leurs stratégies ? La réglementation jouera-t-elle un rôle ? Pour finir, le cout des alternatives diminuant, cela incitera-t-il suffisamment les économies à se sevrer des technologies basées sur le pétrole ?

Le chiffre d’affaires annuel combiné de ces quatre entreprises dépasse les 1000 milliards de dollars américains !

Défis

Le marché et certains défis spécifiques propres à l’année 2020 ont créé un obstacle pour le secteur du pétrole et du gaz. En effet, les experts qualifient les prix actuels du baril de 40 à 50 dollars de « boulevard du virus », ces prix étant devenus la nouvelle norme. Alors que le prix du baril de pétrole était à 70 dollars américains début 2020, les confinements dans le monde entier ont entrainé les tarifs si bas que les producteurs de pétrole vendaient à perte avant que l’exploitation ne puisse être ralentie par l’« OPEP+ » (Organisation des pays exportateurs de pétrole).

Les perspectives pour 2021 sont difficiles à évaluer. La demande reviendra-t-elle aux niveaux d’avant la crise ? La croissance économique retrouvera-t-elle son rythme d’avant 2020 ? Il existe de nombreux facteurs influençant les réponses possibles.

THE OIL INDUSTRY IS STUCK IN VIRUS ALLEY (2)

Bien que la couverture des fluctuations du prix du pétrole a toujours été une stratégie efficace au sein de l’industrie, elle pourrait ne plus fonctionner compte tenu des « profonds changements de la demande énergétique ». Certains de ces changements sont dus au marché, par exemple, le cout du stockage sur batteries a diminué, ce qui rend les choix d’énergies alternatives plus attrayants. De plus, la réglementation joue un rôle important. Le cout des émissions de carbone augmentant, le prix de la production de pétrole grimpe également. Ainsi, les marges diminuent au point que toute nouvelle réduction des couts empêche toute rentabilité. (3)

Source: IMF, IEA, Accenture analysis

Par conséquent, ce qui pouvait autrefois être géré par une réduction des dépenses doit maintenant être traité différemment. Les analystes du secteur considèrent que la solution ne peut fonctionner qu’avec une approche plus collaborative, qui est quelque peu en contradiction avec l’industrie traditionnelle, très compétitive. Quoi qu’il en soit, les recommandations suivantes sont basées sur cette analyse :

Traduction d’un extrait de l’article « The oil and gas sector must reinvent itself. This is how it could be done » (3) :

1. Création de réseaux et de hubs internationaux : création de hubs régionaux pour faciliter le partage de la logistique offshore, du stockage et de la gestion des surplus afin de dégager 14 milliards de dollars par an grâce à une meilleure utilisation des infrastructures et à la réduction des réserves excédentaires.

2. Aide et arbitrage des initiatives de normalisation mondiale : la standardisation des appareils pour les achats de matières et d’emballages, qui devrait générer une réduction de 10 à 20 % des dépenses d’investissement en équipements et une compression des délais pouvant atteindre 40 %, ainsi que d’autres avantages importants.

3. Standardisation des données et des plates-formes de collaboration numériques : développement de normes communes pour l’architecture des données et les API au sein de l’écosystème pétrolier et gazier, permettant l’échange de renseignements et jetant les bases de la mise en œuvre de la numérisation et de la prise de décision fondée sur les informations.

4. Alignement sur les besoins futurs en main-d’œuvre : étude des implications de la quatrième révolution industrielle, y compris l’identification des besoins et des possibilités de reconversion et de redéploiement intersectoriel.

2/ Comment le secteur du pétrole et du gaz se transforme-t-il ?

Le point essentiel à retenir est que si un pourcentage important des budgets de publicité/marketing concerne directement le changement climatique et « l’avenir vert » de l’industrie, ces dépenses ne sont pas corrélées avec le montant déboursé pour la production ou l’exploration en amont. De plus, ce montant est nettement inférieur à celui destiné aux lobbyistes pour lutter contre les réglementations progressistes ou contrôler le discours au sein du public.

Quelle est le positionnement des compagnies pétrolières ?

Source : Total

L’industrie pétrolière est très sensible à la politique mondiale. À la suite de l’arrivée au pouvoir aux États-Unis du président Biden, plus respectueux de l’environnement, Total coupe publiquement ses liens avec le groupe de lobbying « American Petroleum Institute » (API) afin de renforcer son engagement en faveur de l’objectif « zéro émission » et d’atténuer les effets de toute réforme politique directe des États-Unis. C’est une méthode très astucieuse pour se protéger des changements réglementaires futurs et enchérir sur les objectifs.

« Vers la neutralité carbone – septembre 2020 – Total »

  1. La position scientifique :  pour Total, le lien entre les activités humaines et le changement climatique est un fait établi.
  2. L’accord de Paris : Total reconnaît l’accord de Paris comme une avancée majeure dans la lutte contre le réchauffement climatique et soutient les initiatives des États parties prenantes pour atteindre les objectifs de cet accord, et notamment celles visant à parvenir à la neutralité carbone.
  3. La tarification du carbone : Total considère qu’il est nécessaire d’introduire une tarification du carbone afin de stimuler l’efficacité énergétique, de soutenir les technologies à faible émission de carbone et de mettre en place des solutions de puits de carbone indispensables à la neutralité carbone
  4. Le rôle du gaz naturel : Total considère que le gaz naturel, associé au biogaz et à l’hydrogène, est un élément clé de la transition énergétique, en particulier en remplacement du charbon. Le Groupe soutient les politiques visant à réduire les émissions de méthane, de la production à la consommation de gaz naturel, et en particulier les initiatives visant à la réduction du brûlage, comme l’initiative Zero Routine Flaring de la Banque mondiale.
  5. Le développement des énergies renouvelables : Total soutient les politiques, initiatives et technologies visant à promouvoir le développement des énergies renouvelables. Total soutient d’autre part le développement des biocarburants durables. 
  6. Le développement du CCS (Captage et stockage de CO2) : Total soutient le développement du CCS, indispensable à l’atteinte de la neutralité carbone durant la seconde moitié du siècle comme le prévoit l’Accord de Paris. (9)

« La décision de Total de quitter l’API reflète le double clivage entre les compagnies pétrolières européennes et américaines, et entre les compagnies pétrolières et leurs organisations commerciales », a déclaré Antoine Halff, chercheur associé au « Center on Global Energy » de l’université de Columbia.

TOTAL’S EXIT FROM API POLITICALLY MOTIVATED: EXPERTS (8)

BP #bpNETZERO

Source : BP

Notre approche neutralité carbone.

Notre ambition est de devenir une entreprise neutre en carbone d’ici 2050 ou avant, pour aider le monde à atteindre la neutralité carbone.

Nous avons fixé 10 objectifs, qui ensemble ont tracé une voie compatible avec les objectifs de Paris.

CITATION : BP FRANCE

BP prétend développer un business à faible émission de carbone et veut « réimaginer l’énergie pour les gens et la planète ». Ils veulent atteindre « zéro émission de CO2 », mais en sont-ils capables ? Choisiront-ils ces objectifs plutôt que la rentabilité ? Même si les grandes entreprises ont bien sûr beaucoup de responsabilités et peuvent exploiter leur force de manière positive, leur but ultime est de générer des profits pour leurs actionnaires. C’est à la fois leur mission et une obligation légale, malgré ce qui est annoncé sur leur site web.

Ces grandes entreprises jouent-elles vraiment franc jeu ?

« L’American Petroleum Institute » a été créé en 1919, et est actuellement l’acteur central qui travaille pour le compte des compagnies pétrolières et gazières du monde entier. Cet effet de centralisation leur donne un pouvoir et une influence énormes lorsqu’ils font campagne contre des politiques respectueuses du climat. Les estimations indiquent que plus de 200 millions de dollars américains sont dépensés chaque année pour lutter contre les mandats de l’accord de Paris sur le climat de 2015.

Source : InfluenceMap (4) (11)

Examinons plus attentivement ces dépenses. Considérant que BP génère 305 milliards de dollars par an (2018), 53 millions de dollars représentent environ ⅙ de ses revenus ! (5) Cela représente 17 %. Pourquoi consacrent-ils une si grande partie de leurs revenus au lobbying ?  Dans de nombreux secteurs, un bon agent commercial peut prendre 20 %. Le lobbying est-il un modèle similaire ? Et la seule façon pour le pétrole et le gaz de continuer à signer des contrats ? Cet argent ne serait-il pas mieux dépensé ailleurs ? Les bénéficiaires de cet afflux d’argent seraient-ils la véritable raison pour laquelle les États-Unis se sont retirés des accords sur le climat ces dernières années ? Il est triste de penser que nos politiciens pourraient se vendre si facilement.

Source : InfluenceMap (10)

3/ Initiatives mondiales pour le changement dans l’industrie

Avez-vous déjà entendu parler du RE100 ?

Il existe heureusement des solutions prometteuses sur lesquelles le secteur pétrolier pourrait s’appuyer pour prendre ses propres initiatives. Le RE100 est une initiative mondiale de leadership d’entreprise lancée en 2014 avec pour objectif de faire en sorte que TOUTE production d’électricité soit 100 % renouvelable d’ici 2050 (6). Il y a actuellement près de 300 participants desservant plus de 140 marchés différents et produisant plus de 280 TWh par an, ce qui équivaut à la demande d’électricité d’un pays de taille moyenne !

Science Based Targets (SBTi)

Une organisation travaillant activement à la limitation des émissions dans le secteur pétrolier est le « Science Based Targets Initiative Project (SBTi) ». En bref, cette initiative est un partenariat entre le CDP, le Pacte mondial des Nations Unies (UNGC) et le Fonds mondial pour la nature (WWF) dont l’ambition essentielle est de limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C. L’espoir d’y parvenir réside dans la fourniture au secteur privé d’un cadre et de ressources qui permettent aux participants d’atteindre des objectifs très spécifiques, fondés sur la science et propres à l’industrie (7).

Conclusion

Alors que les grands acteurs du secteur pétrolier prétendent vouloir une industrie plus propre et s’engagent publiquement à atteindre les objectifs du « Net Zéro 2050 », les dépenses des groupes de pression agissant contre ces avancées sont importantes.

Il semble y avoir un marketing dans un sens, et de lourds investissements financiers dans le sens opposé.

Dans le cadre d’un terrain de jeu équitable et coopératif, l’industrie pourrait atteindre ses objectifs « zéro émission en 2050 » en développant des moyens d’approvisionnement en énergie à la fois renouvelable et rentable. Est-ce réaliste ? L’industrie peut-elle s’autoréguler et suivre des suggestions, ou continuera-t-elle sur la même voie, celle de la concurrence avide ? Dans le cas contraire, les gouvernements réussiront-ils à obliger les géants de l’industrie à se conformer à la réglementation ?

Le secteur pétrolier est un segment important de l’économie mondiale. Il reste complexe, robuste, mais très sensible à la demande du marché. Le « greenwashing » et les efforts grotesques de lobbying servent à protéger l’industrie contre certaines forces du marché, mais les prix bas sont la seule solution pour que les entreprises cherchent de nouvelles façons de se réaligner sur les réalités actuelles et futures.

Les partenariats ont toujours fait partie intégrante de la maîtrise des prix par le contrôle de l’offre de l’OPEP. Les initiatives mentionnées ci-dessus aideront-elles les producteurs de pétrole à conserver un avantage concurrentiel tout en atteignant les objectifs spécifiques du secteur ? Les objectifs seront-ils suffisants pour contrer les menaces du changement climatique ? L’industrie va-t-elle, d’une manière ou d’une autre, saper les tentatives de réglementation (ou d’autoréglementation) et rester rentable avec une offre de moins en moins importante ? Qu’est-ce qui va finalement obliger les consommateurs à tous les niveaux à passer à d’autres formes d’énergie ? La transition sera-t-elle douloureuse ?

Une transition en douceur est-elle dans l’intérêt de tous ?

Sources

  1. How the Oil and Gas Industry Works https://www.investopedia.com/investing/oil-gas-industry-overview/
  2. Opinion | The Oil Industry Is Stuck in Virus Alley https://www.wsj.com/articles/the-oil-industry-is-stuck-in-virus-alley-11609270852
  3. The oil and gas sector must reinvent itself. Here’s one way https://www.weforum.org/agenda/2020/12/how-to-reinvent-the-oil-and-gas-sector/
  4. Fossil Fuel Lobbyists Are Dominating Climate Policy Battles During COVID-19
    https://influencemap.org/report/Fossil-Fuel-Lobbyists-Are-Dominating-Climate-Policy-Battles-During-COVID-19-a78b11aa1be42aef5d7078d09457603b
  5. Annual report
    https://www.bp.com/en/global/corporate/investors/results-and-reporting/annual-report.html
  6. RE100
    https://www.theclimategroup.org/about_re100
  7. Science-based targets
    https://sciencebasedtargets.org/sectors/oil-and-gas
  8. Total’s exit from API politically motivated: Experts
    https://www.aa.com.tr/en/energy/international-organization/totals-exit-from-api-politically-motivated-experts/31646#
  9. CLIMATE: OUR VISION
    https://www.total.com/commitment/climate-change/climate-our-vision
  10. Les compagnies pétrolières dépensent chaque année 200 millions de dollars en lobbying contre le climat
    https://twitter.com/InfluenceMap/status/1109131245777231872
  11. TOTAL
    https://www.total.com/getting-net-zero